(From Systèmes Solaires ~1999-2000)
L’industrie éolienne aux Etats-Unis est aujourd’hui en pleine ébullition. En termes de puissance installée, le développement est comparable a celui que l’on a connu en 1985. Paul Gipe, en expert engagé, décrit la situation avec un enthousiasme modéré : dopée par les crédits d’impôts puis menacée par leur suppression, cette envolée risque de tourner court.
Cette année, 480 MW seront installés aux Etats-Unis, ce qui dépasse le précédent record datant de 1985 : 400 MW. Cette frénésie a été déclenchée par les “tax crédits”. De la mi-1998 à la mi-1999, les producteurs éoliens auront installé aux Etats-Unis plus de 800 MW. L’installation de la nouvelle capacité devrait être terminée avant l’expiration, en juin 1999, du crédit sur la taxe fédérale à la production. De leur côté, les Canadiens ajouteront encore 100 MW au Québec et 2 MW dans l’Alberta. Entre la mi-1998 et la mi-1999, les augmentations nettes de capacité en Amérique du Nord, représenteront un investissement de plus de 1,1 milliard de dollars.
Ce “rush” est soutenu à la fois par la menace de suppression du crédit sur la taxe fédérale et par la restructuration des compagnies de distribution. Ces dernières s’attendent à une évolution du marché, mais elles en ignorent encore les règles du jeu. C’est pourquoi elles parient sur un marché futur de l’électricité en investissant dans des projets d’énergie renouvelable. L’énergie éolienne est la meilleure candidate. Le premier résultat de cette croissance est la domination du développement éolien des Etats-Unis par deux importants acteurs : Enron, la gigantesque compagnie du gaz naturel et la Florida Power and Light (FPL), une grande compagnie de distribution d’électricité.
Contrairement à la ruée californienne des années 80, les projets s’intensifient au centre des Etats-Unis et notamment dans l’Iowa et le Minnesota. Quelque 250 MW y sont en cours de réalisation. Dans ces derniers, le nouveau constructeur Enron Wind, anciennement Zond Sytems, parvient peu à peu à s’imposer. Vers le milieu de l’année, il devrait avoir installé une capacité d’environ 400 MW en comptant sur son nouveau générateur, le Zond Z 750.
Une impression de déjà vu
Les anciens constructeurs, ceux qui ont survécu à la “fièvre éolienne” des années 80, s’interrogent sur l’évolution de l’industrie. Les pessimistes, dont je fais partie, pensent que cette course à l’éolien n’est pas soutenable : elle pourrait bien se transformer en fiasco à l’expiration des subventions, c’est-à-dire dès le mois de juin 1999. Il s’ensuivrait une récession massive de l’industrie éolienne américaine, semblable à celle de 1985. Et les quelques projets d’énergie verte prévus ne pourront plus suffire à occuper les centaines de nouveaux employés engagés ces deux dernières années. Quatorze ans se sont écoulés depuis la dernière grande envolée et la crise qui l’a suivie. Aussi, chacun croise les doigts pour que les projets soient menés à leur terme ! Sinon, l’industrie éolienne des Etats-Unis risque de ne pas avoir d’autre chance.
Rappelons qu’entre 1981 et 1985, les subventions sur les taxes fédérales et les taxes d’Etat en Californie étaient si importantes que de gros investisseurs pouvaient récupérer jusqu’à 50 % du coût d’un aérogénérateur. La perspective d’un enrichissement rapide a conduit à un débordement de développement basé sur des aérogénérateurs nouveaux et, pour la plupart, non testés. Vers la fin de 1986, les producteurs avaient installé près de 15 000 aérogénérateurs. Ils représentaient une capacité de 1 200 MW pour une valeur de 2,4 milliards de dollars (valeurs de 1986). Il a fallu près de dix ans pour dissiper la croyance répandue parmi le public, et parmi les investisseurs, à savoir que l’énergie éolienne n’était qu’une récupératrice de taxes. En ce moment, ces enjeux sont à nouveau d’actualité.
Pari sur les Grandes Plaines
Début 1998, Enron Wind a commencé à installer les premières versions commerciales de son nouvel aérogénérateur, le Z 750 (750 kW) pour l’un des deux projets importants de 100 MW du sud-ouest du Minnesota. Le constructeur de Tehachapi, en Californie, a mis en service ses premières unités dans un projet sous contrat de Minnesota Northern States Power, sur un site proche du lac Benton sur la Buffalo Ridge, une pente douce de 100 km de long séparant les bassins du Mississippi et du Missouri. L’aérogénérateur à vitesse variable, technologie retenue par Enron, est l’enjeu le plus audacieux depuis le déploiement par Kenetech de l’infortuné KVS 33 (voir encadré). Après avoir testé un prototype à Tehachapi pendant quelques années, Enron Wind a commencé le déploiement commercial de ses machines. Vers la mi-1999, le constructeur aura érigé plus de 500 nouveaux aérogénérateurs de 750 kW moins de dix-huit mois après leur présentation.
Les données d’exploitation des Z 750 n’ont pas encore été rendues publiques. Néanmoins, on connaît le modèle le Z 40 (500 kW) qu’Enron a installé dans deux projets expérimentaux financés en partie sur fonds publics. Le premier projet consiste en l’installation de 12 aérogénérateurs Z 40 dans les Davis Mountains, près d’Alpine, au Texas, dans le cadre d’un programme de “test des aérogénérateurs” (Wind Turbine Verification Program). Ce programme est parrainé par le ministère de l’Energie des Etats-Unis (DOE), l’Electric Power Research Institute (l’Epri) et par des compagnies locales de distribution d’électricité. Ces Z 40 sont équipés d’un rotor de 40 m de diamètre avec commande des ailerons pour entraîner un générateur asynchrone standard de 500 kW, par l’intermédiaire d’une boîte de vitesses intégrée. Les aérogénérateurs ont été raccordés au réseau pour la première fois en septembre 1995.
D’après le rapport de l’Epri pour la première année d’exploitation, en 1996, le projet a subi des dégâts dus à la foudre. La compagnie de distribution, la Central & Southwest Services (CS&W), desservant le Texas et l’Oklahoma, a pris le contrôle du projet en juillet 1996. Ward Marshall, directeur du développement technologique de CS&W indique que tous les aérogénérateurs ont été déconnectés pendant les mois de juillet et d’août 1998 pour des réparations de leurs ailerons. Depuis, les machines ont eu une disponibilité de plus de 95 % du temps. Le deuxième projet s’inscrit dans le cadre du programme de vérification DOE-Epri. Onze Z 40 ont été installés dans le Vermont pendant l’hiver 1996 pour Green Mountain Power (GMP).
D’après le rapport de l’Epri, au début de 1997, Zond a remplacé les boulons de montage des pales sur tous les aérogénérateurs. Découvrant des dégradations sur les boîtes de vitesses, Zond a ensuite procédé au démontage de toutes les machines pour les renvoyer à Tehachapi en réparation. Finalement, Green Mountain Power a réceptionné le projet en juillet 1997. Ces différentes péripéties sont inhérentes au caractère expérimental des projets, assure Mary Mc Cann d’Enron Wind. John Zimmerman, l’ingénieur du projet, a mesuré pour l’automne et l’hiver 1998 une disponibilité de 95 %. La production sur toute l’année 1998 s’est élevée à 13,3 millions de kilowattheures, indique l’Epri. Des Z 40 d’Enron Wind ont aussi été installés en Irlande et en Chine. Aucune information sur les performances de ces aérogénérateurs n’est pour l’instant disponible.
Moins d’acteurs qu’en 1985
Sur le marché des Etats-Unis, en 1985, des dizaines de constructeurs se disputaient les sites de Californie. On pouvait choisir entre un nombre équilibré de constructeurs danois, hollandais, allemands ou américains. Actuellement, il en existe beaucoup moins. On l’a vu, Enron Wind vendra la plus grosse part des aérogénérateurs. NEG-Micon viendra ensuite (plus de 350 MW en cours), Vestas (120 MW en cours) et Mitsubishi (41 MW installés, d’autres en cours) livreront aussi un nombre non négligeable de machines. L’Allemand Tacke, une filiale d’Enron, est cantonné au marché européen pour ne pas entrer en concurrence avec les séries Zond sur le territoire américain. Enercon est interdit sur le marché parce que ses générateurs enfreindraient les brevets détenus par Enron Wind. Bonus, très occupé en Europe, a choisi de ne pas s’embarquer dans cette course à l’éolien. NedWind n’a jamais réellement pénétré le marché, tout comme Nordex, qui est peu présent (voir tableau page suivante).
Il reste quelques producteurs indépendants aux Etats-Unis qui espèrent se creuser des niches dans les marchés spécialisés du Midwest. L’un d’eux, Dan Juhl, joue un rôle important dans les fermes éoliennes de Woodstock. Le second est Greg Jaunich de la Northern Alternative Energy (NAE). Tous deux sont installés au Minnesota et ont bataillé pendant des années pour faire fructifier leurs projets face aux prix extrêmement bas consentis par la Northern States Power, la compagnie régionale de distribution. Le projet Woodstock de Juhl, 10,2 MW pour un montant de 12,8 millions de dollars, sera installé sur le Buffalo Ridge au premier trimestre de l’année. L’installation emploie des aérogénérateurs danois Vestas. La NAE de Jaunich installe actuellement 23 MW répartis en deux projets, également situés sur le Buffalo Ridge. Eux aussi emploient des machines danoises NEG-Micon. Les coûts de ces trois projets sont plus élevés que celui prôné par l’association commerciale de l’industrie éolienne et le ministère US de l’Energie, qui est de 1 000 $/kW. Néanmoins, ils sont inférieurs aux 1 650 $ payés par la Green Mountain Power pour le projet Zond de 6 MW en 1996. Juhl met en avant le modèle européen de développement éolien comme on peut le voir au Danemark ou en Allemagne. Il estime que les aérogénérateurs peuvent offrir un revenu intéressant aux fermiers du Midwest. Ceux du Minnesota, de l’Iowa et du Dakota ont été ruinés par le récent effondrement des prix du blé et du porc. Des gains de 10 000 $ ou de 20 000 $ pour un seul aérogénérateur de taille moyenne gonfleraient, selon Juhl, de manière significative leur trésorerie.
Après l’expiration des crédits sur la taxe fédérale, il restera de petites incitations financières au Minnesota pour des projets de moins de 2 MW. Ce sont de si petits projets, de deux à quatre aérogénérateurs chacun, que les grandes entreprises les négligeront vraisemblablement.
Autres projets en cours
Les fiers Texans semblent déterminés à ne pas rester en arrière dans la course du Midwest. Le Lone Star State installera 100 MW en deux projets d’ici à la fin de l’année 1999. La Texas Utilities ajoute
4 Vestas V 66 à son projet Big Spring de 35 MW. Elle est la première à installer des aérogénérateurs aussi puissants (1,5 MW) en Amérique du Nord. Ajoutons que Nordex a installé 4 machines de 1,3 MW en Californie, qui seront bientôt rejointes par
6 autres. Outre l’exploitation de 6 MW par Enron Wind dans l’ouest du Texas, la CS&W achètera aussi l’énergie d’un projet de 75 MW que construit actuellement Foras, près de McCamey au Texas en employant 100 aérogénérateurs NEG-Micon. Le premier projet Kenetech réalisé au Texas est actuellement exploité par LG&E une filiale de la Lousiana Gas & Electric Co. Les machines KVS 33 délivrent 85 % de l’électricité prévue à l’origine par Kenetech pour le projet de 35 MW. Cindy Berry, responsable des ressources renouvelables pour la Lower Colorado Authority (LCRA), est l’acheteur d’énergie du projet dans les montagnes du Delaware, à l’ouest du Texas. ” Les aérogén rateurs, avoue-t-il, ne sont pas aussi productifs que prévu “. La LCRA est une compagnie d’Etat qui vend de l’énergie en gros à des compagnies de distribution municipales et à des coopératives du Texas central. Elle achètera les 30 MW supplémentaires du projet de l’ouest du Texas de la compagnie éolienne britannique, la National Wind Power (NWP). Enfin, on peut citer deux derniers projets en cours : celui mené par SeaWest (42 MW) près de Rawling au Wyoming et celui mené par Portland en Oregon pour la Pacifcorp. Ce dernier subit actuellement des tests de réception des nouveaux aérogénérateurs Mitsubishi de 600 kW.
Renouvellement en Californie
Le remplacement souvent discuté des aérogénérateurs “vieillissants” de Californie est enfin devenu réalité. Le marché est pour l’instant monopolisé par le constructeur NEG-Micon. Le projet le plus important est le renouvellement de la FPL energy sur l’ancien site FloWind à Tehachapi Pass. La FPL a débarrassé le Camron Ridge de FloWind des dernières machines Darrieus et a installé
80 aérogénérateurs NEG-Micon de 750 kW. La FPL a aussi acheté le site de Cannon Energy sur la même crête, où elle installera 30 autres aérogénérateurs NEG-Micon. L’an dernier, NEG-Micon a également installé
14 machines en Californie dans le cadre de petits renouvellements pour SeaWest et Oak Creek. L’entreprise associée de NEG-Micon avec Florida Power & Light et une filiale de Nichimen Corp. a acheté 164 MW appartenant à Kenetech à l’Altamont Pass pour 38 millions de dollars. Le consortium envisage de démonter 750 aérogénérateurs Kenetech de 100 kW et de les remplacer par 100 machines de 750 kW de la NEG-Micon. De même, SeaWest a retiré près de 400 aérogénérateurs (environ 45 MW) du San Gorgonio Pass qu’elle remplacera par
65 aérogénérateurs Vestas de 700 kW.
L’industrie éolienne des Etats-Unis a fait pression pour étendre les subventions sur les taxes, qui sont actuellement évaluées à 0,016 US$/kWh. Confrontée à une puissante opposition au principe des subventions et autres aides fiscales, l’American Wind Energy Association (Awea) a réduit ses exigences. Mais elle cherche toujours, aux côtés d’Enron Wind, à prolonger les crédits d’un an seulement dans l’espoir que les élections de l’an 2000 amèneront un nouveau congrès et un nouveau président.
Actuellement, avec un congrès de plus en plus conservateur, tourmenté par la procédure de destitution de Bill Clinton, les perspectives d’extension des crédits sont maigres. Si ils ne sont pas prolongés, la course en avant actuelle, aussi bien en Californie que dans le MidWest, s’essoufflera comme elle l’a fait en 1985. Jaime Steve, de l’Awea, estime même qu’il est trop tard pour qu’un quelconque prolongement prenne effet avant l’expiration de l’actuelle subvention.
Quel avenir pour des subventions?
Même si les groupes de pression réussissent, il y aura un retard dans la construction des nouveaux projets. La stagnation pourrait bien se prolonger jusqu’en 2001, date à laquelle le puissant président de l’House Ways & Means Committe, Bill Archer, se retirera. En effet, Archer est un grand opposant au prolongement des crédits sur les taxes.
Le meilleur espoir à court terme se situe au Minnesota, là où un petit groupe de défenseurs de l’environnement a exigé que la Northern State Power (NSP), à la demande de l’Etat, construise une autre tranche de 400 MW. John Dunlop, représentant de l’Awea pour les Grandes Plaines a qualifié l’envolée de 1998-1999 au Minnesota et dans l’Iowa de ” point culminant de la décennie quant aux efforts déployés par les avocats des énergies renouvelables dans l’Upper Midwest “. Bill Grant, directeur de l’Isaak Walton League pour le Midwest, est l’un des premiers à s’exprimer. Selon lui, ” si l’énergie éolienne était une bonne affaire (NDLR pour l’Etat) il y a quatre ans, lorsque la première tranche de 400 MW a été engagée, c’est encore une meilleure affaire aujourd’hui “. Ces efforts de lobbying semblent porter leurs fruits. Fin janvier, la commission des compagnies d’électricité publiques du Minnesota a demandé à la NSP d’étudier effectivement le lancement d’une seconde tranche de 400 MW dans les dix prochaines années. Si cette décison ne suffit pas à sauver l’industrie éolienne du pays, elle aura le mérite de lui fournir suffisamment de contrats pour franchir le passage du prochain millénaire la tête haute.
Texte et photos Paul Gipe
Paul Gipe a été consultant auprès des : NRG Systems, SeaWest, Usdoe, NREL, Nasa, Awea, Kwea, DGW, l’Isaak Walton League, et le Minnesota Project. Il a travaillé pour Zond Systems de 1984 à 1985.
Il est l’auteur de “Wind Power for Home & Business” (Post Mills VT, Chelseau Green Pub, 1993), “Wind Energy Comes of Age” (New York, John Wilzey & Sons, 1995) et du chapitre 7 du “Guide de l’énergie éolienne” (Paris, collection Etudes et Filières, Fondation Energies pour le Monde/IEPF, 1998).
(encadré)
La part de l’Oncle Sam
s’amenuise
Malgré toute l’activité actuelle, le rôle des Etats-Unis sur le marché mondial éolien s’amenuise. En 1985, le pays intervenait dans 95 % de la capacité mondiale de production éolienne installée. A la fin des années 90, il revendiquait encore 75 % des aérogénérateurs du monde mais pendant les années 1990, sa position a dramatiquement changé. Une expansion rapide dans plusieurs pays, particulièrement en Allemagne a devancé celle des Etats-Unis. En conséquence, la part des Etats-Unis dans le développement mondial de l’énergie éolienne a chuté de 20 % en 1998. Actuellement, il y a près de 2 000 MW éoliens en exploitation aux Etats-Unis contre près de 3 000 MW en Allemagne. La superficie de l’Allemagne ne représente pourtant que 5 % de la surface des Etats-Unis.
(encadré)
Gloire et décadence
pour Kenetech
Après des années de développement et des tests sur plusieurs prototypes, dans l’Altamont Pass, Kenetech a commencé, en 1993, la production commerciale de son très médiatisé aérogénérateur de 300 kW – à vitesse variable – 33 mètres. En 1993, la société installe une trentaine de machines. En 1994, elle lance la production à grande échelle et installe 276 aérogénérateurs. La production de 1995 culmine avec près de 400 unités fabriquées. Mais à la fin du printemps 1996, Kenetech fait faillite, victime d’une mauvaise gestion et surtout d’une construction défectueuse. L’entreprise, qui a été la plus importante de l’industrie éolienne, avec 400 employés, est mise en liquidation. Depuis, les petits propriétaires d’aérogénérateurs Kenetech KVS 33 assurent eux-mêmes, tant bien que mal, la maintenance de leurs machines, et les machines des grandes centrales commencent à être remplacées.