Cette traduction a paru dans Ecodecision, revue environnement et politiques. Hiver 1996. Tout droit réservé. Ecodecision est distrbué dans 115 pays dont 47 de la Francophonie. Pour tous renseignements contacter la a rédaction.
L’énergie éolienne, aujourd’hui viable sur le plan commercial, peut combler une partie importante des besoins énergétiques.
L’image qu’on se fait aujourd’hui de l’énergie éolienne n’a plus rien à voir avec la vision romantique du meunier aux cheveux blanchis par la farine ferlant les voiles de son moulin à vent. Cette source énergétique est devenue une réalité commerciale incontournable. Qu’il s’agisse de combler les besoins d’un nomade mongol, de paysannes puisant leur eau dans un puits au Maroc, d’un fermier du Minnesota, d’une coopérative au Danemark ou d’un travailleur de l’une des nombreuses éoliennes de Californie, l’électricité produite par la force des vents montre qu’un approvisionnement énergétique durable n’est plus un réve.
Les 27 000 éoliennes du monde ont produit plus de 7 térawatt-heures (TWh) d’électricité en 1995, ce qui représente une valeur totale de plus d’un demi-milliard de dollars. Chaque semaine, les fabricants d’éoliennes construisent un nombre suffisant de capteurs pour générer 20 mégawatts (MW) de puissance. Ainsi, des éoliennes produisant plus de 1000 MW ont été installées en 1995. L’Europe produit 600 MW de cette capacité, d’une valeur de quelque 750 millions $ US. L’Inde, deuxième marché mondial de l’industrie, a installé quant à elle 300 MW de puissance, faisant grimper les ventes mondiales du secteur au-delà d’un milliard $ US d’équipement en 1995.
L’Association allemande de l’énergie éolienne estime que les éoliennes installées principalement dans deux régions au nord du pays, la Basse-Saxe et le Schleswig-Holstein, fournissent aujourd’hui une puissance de 1000 MW. Chaque MW supplémentaire produisant de 2 à 2,5 millions de kilowatt-heures par année, l’Allemagne produira à elle seule plus de 2 TWh en 1996, soit les deux tiers de la production d’électricité de la Californie, leader mondial incontesté dans le domaine.
L’énergie ainsi tirée du vent permet d’éviter chaque année le rejet dans l’atmosphère de 5 000 millions de kilogrammes de gaz à effet de serre. Si la croissance actuelle du secteur se maintient, ce montant pourrait doubler d’ici l’an 2000. Même si dans l’ensemble cette contribution est modeste, l’énergie éolienne fait déjà toute une différence au niveau régional.
La croissance de l’énergie éolienne
Depuis plus d’une décennie, les éoliennes de Californie génèrent 1,5 % de l’électricité produite dans l’état. Ce pourcentage peut sembler faible; toutefois, la Californie compte 12 % de la population des États-Unis et se classe au 7e rang parmi les économies de la planète. Elle rejette dans l’atmosphère presque autant de CO2 que la France entière. En Allemagne, les dernières éoliennes installées produisent 0,8 % de l’électricité consommée en Basse-Saxe, une des régions les plus peuplées du pays. L’énergie éolienne comble 4 % des besoins énergétiques du Schleswig-Holstein, le Land voisin.
L’énergie éolienne fournit aussi 3,5% de la consommation électrique des six millions de Danois, et pour prés de 5 % des besoins de la péninsule du Jutland, où réside la moitié des habitants du pays. Les éoliennes installées dans la zone de service de Vestkraft, sur la côte ouest du Jutland, produisent 9% de toute l’électricité de la région. Lorsque la demande est faible et que les vents sont forts, elles fournissent jusqu’à 36 % de l’électricité du Jutland.
La France a mis plus de temps à exploiter l’énergie du vent. Il y a aujourd’hui des petites éoliennes à Dunkerque, sur la Manche, et à Port-la-Nouvelle, au sud du pays. Électricité de France (EDF), qui a toujours favorisé la centralisation de sa production énergétique, trouve aujourd’hui plus rentable de faire appel aux petits réseaux solaires et éoliens pour desservir certaines régions isolées, notamment les Corbières. L’énergie éolienne apparaît de plus en plus comme une solution de rechange aux importations de pétrole pour ses territoires d’outre-mer. Malgré son faible intérêt dans le secteur, EDF soutient une initiative de la société parisienne Tramontana qui projette la construction d’une centrale éolienne de 50 MW au Maroc –la plus puissante à l’extérieur de l’Amérique du Nord– pour le compte de l’Office national de l’électricité du pays.
Pour sa part, Hydro-Québec prévoit acheter, avant la fin de 1996, l’énergie produite par sa première centrale éolienne de 100 MW en Gaspésie. Construite par le secteur privé, le parc d’éoliennes installé sur la rive sud du Saint-Laurent sera le plus important au Canada et l’un des plus puissants du continent. Un autre projet de 5 MW est également prévu aux Iles-de-la-Madeleine, dans le golfe du Saint-Laurent.
Dans le monde en développement
Il n’y a pas que le monde industrialisé qui utilise l’énergie éolienne. Des pays en développement, comme la Chine et l’Inde, ont tous les leviers industriels nécessaires pour construire leurs propres éoliennes. D’autres pays en développement, qui voient leurs besoins énergétiques augmenter, sont également en position de tirer profit de cette source d’énergie renouvelable.
La Chine construit quelque 10 000 petites éoliennes chaque année. Même si ces turbines produisent peu d’énergie, elles rendent d’importants services. Un kilowatt-heure d’électricité produit en Inde rend dix fois plus de services qu’un même kW produit en Indiana, aux États-Unis. Deux génératrices éoliennes de 10 kilowatts peuvent fournir de l’eau potable à 4000 personnes au Maroc, alors qu’en Amérique du Nord, elles ne pourraient fournir l’électricité et le chauffage qu’à deux maisons. Grâce à ces deux mêmes génératrices, les femmes de Ain Tolba n’ont plus à parcourir plusieurs kilomètres pour puiser leur eau.
Les pays en développement se tournent de plus en plus vers l’énergie éolienne et solaire pour combler à moindre coût les besoins énergétiques des régions rurales. Les 12 petites éoliennes des îles de la Désirade au large de la Guadeloupe– première centrale éolienne des Caraïbes– fournissent maintenant 70 % de l’électricité des îles, autrefois alimentées aux combustibles fossiles.
Une technologie rentable
Le développement fulgurant de l’énergie éolienne tient au fait qu’elle est devenue rentable, et qu’il existe chez certaines nations une réelle volonté de favoriser le développement de l’énergie renouvelable. Plus fiable, productive et économique, la technologie éolienne est arrivée à maturité.
C’est en se basant sur sa capacité à produire de l’énergie que l’industrie mesure la fiabilité d’une turbine. Au début des années 1980, les éoliennes de Californie n’arrivaient à produire que 60 % du temps. Les lents mais constants progrès réalisés au cours des 15 dernières années leur ont permis de produire de l’électricité dans près de 99 % des cas. Plus fiables, elles sont aussi plus productives. La production annuelle n’a cessé d’augmenter au cours des années 1980. Et les nouvelles turbines sont plus productives que les anciens modèles.
Les éoliennes de la Californie produisent 35 % de l’énergie éolienne mondiale. Depuis le début des années 1980, la puissance moyenne des turbines est passée de 500 kilowatt-heures par mètre carré par année (kWh/m2/an) à 800 kWh/m2/an au milieu des années 1990. Nombre de génératrices bien entretenues installées sur un site venteux produisent environ 1000 kWh/m2/an. Certaines éoliennes installées sur de meilleurs sites produisent jusqu’à 1500 kWh/m2/an.
Entre-temps, les coûts d’installation ont diminué de manière importante : de 4000 $ US par kilowatt en 1980 à 1250 $ US par kilowatt en 1995 pour une éolienne de dimension moyenne. Le coût de l’électricité ainsi produite est passé de 0,40 $ US le kilowatt-heure au début des années 1980 à quelque 0,06 $ US/kWh dans des conditions optimales. C’est bien en deçà des prix qui ont cours sur le marché des carburants traditionnels.
Malgré cette percée technologique, les sceptiques laissent encore entendre que les éoliennes nécessitent trop d’espace et de matériaux pour être utilisées sur une vaste échelle.
L’énergie produite et la surface utilisée
Il faut en effet beaucoup d’énergie pour produire le ciment, la fibre de verre et l’acier qui entrent dans la fabrication d’une éolienne, mais la dépense énergétique est rapidement remboursée dès que la turbine commence à produire. Sur les meilleurs sites, il faut compter entre trois et quatre mois de production pour y parvenir, moins d’un an sur les sites moins favorables.
Ce qu’on reproche aux énergies renouvelables, et en particulier aux éoliennes, c’est qu’elles occupent trop d’espace, même en Amérique. Il est vrai que les génératrices éoliennes nécessitent plus d’espace que les autres sources d’énergie. Cet espace varie de 5 ha/MW pour les plus grands parcs éoliens de Californie à 15 ha/MW pour les turbines dispersées d’Europe du Nord. Dans ces régions, les éoliennes sont placées à une distance qui équivaut au diamètre de cinq pales lorsqu’elles font face au vent et de huit pales lorsqu’elles sont placées dans la direction du vent. Règle générale, les parcs éoliens occupent 50 m2 de superficie pour chaque m2 balayé par les pales des turbines.
Heureusement, les éoliennes d’aujourd’hui n’occupent pas plus d’espace que celui qui est nécessaire à la production d’une même quantité d’énergie à partir du charbon. En Europe, sur le site de certains parcs, on cultive le sol jusqu’au pied des éoliennes où on y laisse paître les moutons, parfois même le long des voies de service. Dans les parcs européens, moins de 1 % de la surface du parc est occupé par les capteurs, leurs fondations, les voies de service et les structures auxiliaires. Même si les capteurs utilisaient 5 % de la surface du parc, une éolienne placée sous un régime de vents modérément forts occuperait moins d’espace qu’il en faudrait à une mine ou à une centrale de charbon pour produire la même quantité d’énergie pendant vingt ans. Par ailleurs, contrairement aux carburants fossiles, les éoliennes ne rejettent pas de polluants dans l’air.
L’élimination des émissions polluantes
La production d’électricité par l’énergie éolienne ou hydraulique est beaucoup plus écologique. Chaque kilowatt-heure produit par une éolienne évite l’émission de 0,5 à 1 kg de CO2 de sources énergétiques conventionnelles, tout comme l’émission de 7 g d’oxydes de soufre, d’oxydes d’azote et de particules fines qui résultent du cycle du charbon — incluant l’extraction et le transport–ainsi que de 0,1 g de métaux, comme le mercure, et de plus de 200 g par kilowatt-heure de déchets miniers et de cendres. La réduction de la quantité de polluants dépend de la proportion de carburants fossiles, d’énergie nucléaire et d’hydroélectricité utilisés dans le cycle énergétique. On éliminera plus de polluants si l’énergie éolienne remplace le charbon plutôt que le gaz naturel.
Une main-d’oeuvre de plus en plus nombreuse
Quelque 1250 personnes ont un emploi direct dans le secteur de l’énergie éolienne en Californie, 1000 au Danemark et 5000 en Allemagne. Il faut en moyenne 450 personnes pour exploiter et entretenir l’équipement pour chaque TWh produit au cours d’une année, 6 personnes par MW dans le cas des turbines de fabrication récente. Il y a donc prés de 10 000 personnes qui travaillent directement dans ce secteur dans le monde.
Les impacts environnementaux
Les éoliennes n’ont pratiquement aucun impact sur l’environnement. Elles peuvent être bruyantes lorsqu’on se trouve à proximité, et à certains endroits (au sud de l’Espagne et au col d’Altamont en Californie) elles ont causé la mort de quelques oiseaux. L’impact sur la faune ailée est heureusement limité à certains sites particuliers. Quant au bruit, il peut être réduit par une meilleure isolation et par l’amélioration des pales. Un choix plus judicieux des sites d’installation peut également réduire les impacts négatifs pour l’homme et les oiseaux.
Les éoliennes sont parfois visibles à de très grandes distances. Néanmoins, elles n’enlaidissent pas nécessairement le paysage pour peu qu’on porte un peu d’attention à leur aspect esthétique.
Des avantages indéniables
Il ne s’agit plus de savoir si l’énergie éolienne peut être utilisée, mais où et à quel rythme elle s’implantera. Les vents qui balaient la plupart des continents peuvent contribuer de manière importante à assurer un approvisionnement énergétique durable. Aux États-Unis, par exemple, l’énergie éolienne pourrait produire 27 % de la consommation électrique (chiffres de 1990) grâce à la technologie actuelle. Hors des zones environnementalement vulnérables, les capteurs nécessaires n’occuperaient que 0,6 % du territoire du pays (à l’exception de l’Alaska et d’Hawaii). Le potentiel est encore plus grand au Canada. Le développement de l’énergie éolienne sera néanmoins déterminé par l’évolution des prix et des politiques publiques.
Lorsqu’un pays veut protéger la qualité de l’air et tirer tous les avantages possibles de l’énergie éolienne, il adopte des politiques éliminant les restrictions qui empêchent la connexion des capteurs aux réseaux existants et offre une compensation juste et raisonnable pour l’électricité tirée du vent. À cet égard, et pour illustrer la puissance des forces du marché, il convient de signaler que l’énergie éolienne se développe plus rapidement là où les tarifs sont les plus élevés.
L’Allemagne en offre un bel exemple. Malgré un important programme de recherche-développement, la croissance rapide de ce secteur n’a véritablement commencée qu’avec l’adoption par le gouvernement fédéral de tarifs nationaux sur l’énergie éolienne afin d’encourager le développement du secteur privé. Une loi oblige les compagnies d’électricité à acheter l’énergie éolienne à 90 % du prix de détail, ce qui équivaut en 1995 à 0,105 $ US/kWh. Le gouvernement fédéral finance également les projets de protection de l’environnement, notamment l’installation de capteurs éoliens. On encourage les petits fermiers et les coopératives à faire les emprunts nécessaires, à des taux d’intérêt de 6,5 % étalés sur dix ans, pour payer jusqu’à 100 % des coûts d’installation d’une éolienne.
Avec le taux de croissance réalisé grâce à ces prix, l’énergie éolienne pourrait combler, d’ici l’an 2000, 10 % des besoins en électricité du Schleswig-Holstein, c’est-à-dire dix ans plus tôt que prévu.
Le Danemark, qui veut réduire de 10 % ses émissions atmosphériques de CO2 avant l’an 2000, a adopté une approche similaire. Le Parlement danois s’est donné une politique de rachat pour l’énergie éolienne qu’il exempte de ses taxes nationales sur l’électricité et le carbone. Les compagnies d’électricité danoises achêtent l’énergie éolienne de capteurs privés à 85% du prix de détail avant taxes. Non seulement les propriétaires, les fermiers et les coopératives produisant leur propre électricité à partir d’éoliennes n’ont-ils pas à payer la taxe sur l’électricité et les émissions de CO2, mais ils reçoivent l’équivalent de 0,093 $ US pour chaque kilowatt-heure produit. Grâce à ces mesures, la croissance continue du secteur devrait permettre au Danemark de combler 10 % de ses besoins électriques avec l’énergie éolienne (1000 MW), un objectif qu’il s’était fixé pour l’an 2000.
Remplie de bonnes intentions, la Hollande avait mis en oeuvre un programme qui remettait le développement de l’énergie éolienne entre les mains des compagnies d’électricité. Elle l’a maintenant abandonné. Elle suit désormais l’exemple danois et allemand et a établi une politique nationale de rachat de l’énergie éolienne qu’elle paie 0,099 $ US le kilowatt-heure. Aprés plusieurs années de laisser-aller, ce secteur est finalement en croissance en Hollande où la puissance installée pourrait dépasser 500 MW d’ici l’an 2000. Même si c’est en-deçà de son objectif initial, c’est un bien meilleur résultat que celui obtenu dans des pays beaucoup plus grands dotés de ressources éoliennes comparables, comme la France.
L’énergie éolienne connaît une croissance rapide là où les politiques publiques privilégient ses indéniables bénéfices environnementaux, mais elle stagne dans les pays qui accordent moins d’importance à la qualité de l’air et à l’utilisation durable des ressources naturelles. À l’approche du nouveau millénaire, il est de plus en plus évident que l’énergie éolienne n’est plus seulement une solution de rechange, mais une force productive commerciale et rentable. Le vent souffle. Il suffit d’en tirer profit.
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